Emmanuel Todd, avant tout démographe, mais aussi historien, sociologue reprend ici le goût déjà ancien de la prédiction. Dans « la chute finale » de 1976 il s'était déjà essayé à nous convaincre de l'écroulement de
l'URSS avec quelque succès. Quelque temps plus tard, lors d'une conférence donnée à
Nantes en 2005, il nous assurait de l'échec probable de l'euro et du retour des monnaies nationales dans le cadre européen. Pourquoi s'arrêter là? « après l'empire » promettait la décomposition imminente de l'empire américain. Aujourd'hui Todd est encore dans l'après... « Après la démocratie » son dernier opus décrit l'aporie politique qui nous attend. Les prophètes ne sont jamais très loin du pouvoir. Les prêtres, les pythies ont toujours désiré vouloir souffler dans les oreilles des princes les destins funestes que secrètement les dieux nous réservent. On pourrait ici évoquer le syndrome Alain
Minc...
La tentation du notable
Les occultes"think tanks" ne sont pas très loin. À l'aube de son crépuscule, Todd est déjà dans celui qui a été. Il ne cesse de rappeler ses titres universitaires, ses relations de pouvoir, sa fréquentation des grands, il multiplie les hommages à ses maîtres aussi bien universitaires que politiques. Conseiller de Chirac mais aussi du PS, bref de ceux qui voulaient bien tendre une oreille distraite. Mais voilà ! Il n'a pas été écouté. Amertume de celui qui aurait tant aimé être une éminence grise. Quel dommage ! Cela gâche le propos. Pourquoi ne pas rester hic et nunc seulement un homme libre qui a le courage de la vérité comme dirait Michel Foucault...
Et après...
D'emblée « après la démocratie » semble répondre à Alain BADIOU. Critiquer Sarkozy ne sert à rien. Sarkozy n'est qu'un symptôme : il révèle le mal, mais est aussi et surtout un miroir du peuple tout entier. Il n'y a donc pas de contradiction, d'erreur de casting. Il y a cohérence absolue entre le prince et ceux qui l' ont élu. Cela nous mène tout droit à la fin de la démocratie par synergie entre le peuple et ses gouvernants. Pas d'issue. Le coup de force est séduisant. Il suffit alors de reprendre point par point les traits dominants du prince pour rendre compte de l'histoire des mentalités.
L'incohérence de la pensée.
Sarkozy se caractérise d'abord par l'incohérence de la pensée, autrement dit le vide idéologique et religieux. Cela peut paraître paradoxal mais Todd et beaucoup de sociologues nous démontrent(chiffres à l'appui) la baisse continue de la pratique religieuse, de l'impact de l'église sur les structures mentales et culturelles. Les dernières déclarations du pape montrent à quel point l'église est dans le désarroi et capable de s'autodétruire... Le philosophe Ciszeck, proche de BADIOU, dans un ouvrage récent, montrait l'intérêt, pour la survie de la démocratie de la conservation de l'héritage chrétien pour l'Occident. Pourtant, qu'on ne s'y trompe pas, nous ne sommes pas dans le contexte de la fameuse « guerre des civilisations » cependant cela a pour effet de conduire à l'islamophobie.
La médiocrité intellectuelle.
Bien entendu ceci appelle cela. La médiocrité intellectuelle est un miroir de la stagnation éducative. Ici on touche davantage à la démographie. La démocratisation de l'école a entraîné sa massification. Les deux termes sont loin d'être synonymes. Le vide éducatif a entraîné un pessimisme culturel et une radicalisation dans les extrêmes politiques. Or soyons clairs : la démocratie est essentiellement liée à l'alphabétisation. L'histoire montre que les révolutions politiques d'émancipation sont toujours liées à des phases de progression de l'éducation populaire. Aujourd'hui, Narcisse, l'homme nouveau constate avant d'expliquer...
Le plus menaçant pour l'avenir de la démocratie reste dans la béance de la fracture ainsi légitimée,produite: la dissociation entre éducation et richesse. pourquoi les élèves travailleraient-ils, s'interesseraient-ils à l'école? l'exemple vient de haut: Le président fut un élève médiocre, un étudiant intermittent, il ne lit pas...Il a tout:belles femmes, argent, pouvoir, riches amis, luxe. Toujours le miroir, le reflet...
Ou sont les élites lettrées, les présidents auteurs d'anthologies, de poésies, agrégés, posant devant des bibliothèques, qui au moins portaient en eux une sorte de conscience catholique progressiste, des projets d'état "social"...On les regretterait presque: on leur doit 68!
Cette fracture crée de plus une nouvelle classe d'exclus, celle des hauts diplômés,qui poussent à la radicalisation politique, qui ne retrouvent pas leur dû dans la démocratie...
L'agressivité.
L'agressivité méprisante, cynique, semble aller de soi comme marqueur social du pouvoir contemporain. Elle fait d'évidence partie de la panoplie tape-à-l'oeil de la réussite marchande. Une attitude communément répandue chez le petit vendeur de voiture qui se lève tôt. Nous l'avons tous rencontré, au volant de sa voiture de concession, en chemise blanche, la montre bien apparente et klaxonnant de son importance le petit peuple de feigninants,pigeons en puissance.
En politique elle n'a pas lieu d'être. Au contraire, la figure du politique classique est celle du sage, calme, pondéré, une figure du père et non une image d'ado prêt à tout casser. Mais voilà sarko confond tout : l'État et l'entreprise, le vendeur et le haut fonctionnaire... Cependant qu'on ne s'y trompe pas : cette attitude l'a porté au pouvoir. De plus sa vertu est d'exclure, de fabriquer autant de boucs émissaires que l'on voudra : exclusion « du non citoyen » l'inutile, les jeunes, les vieux, les intellos, les artistes, les Arabes et autres métèques... au gré des situations. La liste serait longue.
Selon notre guide suprême seule la France qui travaille et se lève tôt pourrait prétendre au rang de citoyen. Pourquoi ne pas exclure ces improductifs du droit de vote, du suffrage universel?de la démocratie? nous voilà replongé dans le temps où seuls les citoyens dits actifs(rentiers) était propriétaires du droit de voter, excluant ainsi les citoyens passifs(ce qui ne produisent aucune richesse). Bref le suffrage censitaire... C'est l'état de guerre de tous contre tous, bien incorporé par nos concitoyens, convertis à l'individualisme ultra libéral par nécessité de survie. Celui qui a dit que les grèves étaient invisibles dans ce pays, l'a rêvé...Il l'a fait. Malgré manifestations, mobilisations, le peuple ne sera plus jamais écouté, ni consulté.
L'amour de l'argent.
Nous voilà au coeur du réacteur. Le président a beaucoup de mal à légiférer afin de limiter les parachutes dorés... C'est une impossibilité quasi psychique, un point aveugle inconscient. Une limite absolue Il ne peut pas. Ce serait se mutiler... Se castrer. Il aime l'argent. Nous sommes au siècle de l'avidité, Sarkozy en est l'icône. C'est en fait la réintroduction de l'économie comme mentalité et comme seule finalité. Participer au grand oeuvre : porter le libre-échange jusqu'au ciel, accompagner le grand frère américain dans sa mission impérialiste mystique malgré l'incapacité des élites à affronter les problèmes qu'il pose. Un vrai gamin perdu dans une histoire trop grande pour lui, d'ailleurs il n'a aucune connaissance historique. À l'image de nos contemporains, il ignore tout des enjeux de la guerre froide,de ce qu'a pu représenter la chute du mur de Berlin comme ouverture pour un libéralisme sans limites...Comme trou de souris par lequel s'est engouffrée la mondialisation, la financiarisation...La route s'arrête là pour une grande partie du monde le moins riche. Là aussi exclusion agressive...
Revenons à l'argent: baisse des revenus du plus grand nombre et enrichissement continu des 1 % les plus riches. Les risques sont clairs pour la démocratie. Contraction de l'état social, ploutocratie, népotisme, oligarchies...Personne ne sait plus ce qu'est le le partage (antique héritage d'un capitalisme social disparu) de la richesse nationale par ceux qu'il l'ont produite directement où indirectement.
En effet, l'argent semble à tous le résultat et la mesure de la valeur de chacun. Bonne chance !
L'instabilité affective et familiale.
C'est là toute l'originalité de l'approche de Todd. C'est un démographe, un sociologue (en France, rappelons que la démographie fut expurgée des manuels scolaires jusqu'à la terminale). Il reprend ici une approche qui a traversé toute son oeuvre : l'analyse et l'évolution des structures familiales produites et productrices de l'économique, du sociétal. De ces dérives anthropologiques dépendent la survie de la démocratie. Dans ce socle anthropologique il distingue des modèles dont l'un est « égalitaire » et l'autre plutôt « autoritaire ». Leur évolution tant historique que géographique rend compte des mutations des mentalités politiques. du modèle égalitaire peut naître le concept de "lutte des classes" alors que le modèle autoritaire engendre « l'autre » comme principale menace. On voit donc ici l'enjeu : d'un côté idéal démocratique et collectif, de l'autre,éthnicisation rapports sociaux et individualisme. Là aussi bel effet de miroir ! Notre chef est avide de femmes. Comme tout chef de horde primitive, il pratique volontiers le rapt. Il décompose, répudie, recompose... Posséder des femmes s'est encore le pouvoir, modèle anthropologique autoritaire celui-là. L'accumulation de femmes, le harem, c'est aussi celle de l'argent, de la puissance au sens premier, virile... Peut-on lui en vouloir de dire naïvement' il est lui-même à l'image de n'importe quelle famille française moderne, recomposée et décomposée au gré de l'empire des sens....
Pour finir...
On est à la foire. C'est le palais des glaces et ses labyrinthes de miroirs.. Nous tournons en rond, trompés éternellement par ces multiples reflets. Narcisse se noie, alors,dans une ultime pulsion, il crée lui- même une image qu'il pense unique. Mais le danger de se perdre est bien là. Nous errons dans ces lumières diffractées, angoissés, tout en faisant les matamores, de ne pas trouver la sortie... "C'est comment qu'on freine?" chantait Bashung.
Une société de groupes(?), de classes(?) qui vivent parallèlement les uns aux autres, des strates étanches, aveugles, qui ignorent tout de ce que peut être un sens commun. Des élites cultivées pauvres, exclues du pouvoir comme de la richesse. Probablement la nouvelle classe montante d'opposition. De nouveaux analphabètes se réfugiant dans des solutions de plus en plus radicales de droite ou de gauche, qui, on le sait, n'ont jamais trouvé l'ombre du début d'une solution, enfermés dans la protestation. Des élites dont la seule richesse et d'être riche en soi et pour soi uniquement. Comment ne pas être tenté par la prophétie : la démocratie risque de disparaître au profit d'une oligarchie au service et 1 % les plus riches. La masse des plus faibles revenus, sans cesse paupérisée, considérée comme un coût, vit sa condition comme un martyr qui la grandit à ses propres yeux:c'est son"cheval d'orgueil", une fatalité qui signe son humanité. Une vision religieuse, stérilisante, de la classe porteuse de toutes les révolutions. Nous sommes revenus dans "un avant" de la conscience politique. L'histoire est courbe, n'est-ce pas?.