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jeudi 22 avril 2010

Pierre Bourdieu : Éléments pour un éloge.



Au début était la fin.

C'est presque malgré lui qu'il s'est engagé avec tant de passion auprès des mouvements sociaux de son temps comme s'il avait été appelé par une nécessité impérieuse. Un devoir à accomplir, une révélation que la théorie comme il l'avait pensé ne serait pas suffisante pour que le mort puisse saisir le vif. Jean-Pierre Vernant compara cette conversion à l'action, toute proportion gardée, à celle que vécu Jean Cavaillès, qui en 1940 se sentit appelé par les urgences du temps à quitter le ciel des idées pour rejoindre les batailles du concret où il devait périr.
Bourdieu se sentit contraint par la situation historique à descendre dans la rue et y faire descendre ses concepts avec lui. Il était persuadé que la connaissance, le savoir est une arme politique notamment contre les prétendus savoirs, les « les fairy tales » des communicants d'aujourd'hui.
Comment assister sans réagir à la destruction comme il l'a écrit souvent d'un type de civilisation, très imparfait, mais qui devait malgré tout être défendu. Surtout au moment où la classe intellectuelle trahissait ses principes et perdait tout honneur et toute dignité après des dizaines d'années de reniement de compromission de palinodies de révérence au monde dominant de la communication.
Bourdieu n'avait que pour lui que son énergie, ses convictions et sa puissance d'analyse. Il l’ a payé au prix fort . Il l'a payé au prix de sa disparition en tant qu'intellectuel. Ils l'ont tué. Et avec lui une grande partie de la pensée contemporaine. Il était un obstacle au développement de toutes les idéologies les plus aliénantes, les plus fantaisistes et les plus serviles, celle, officielle au service du « bien ». Permettant ainsi à l'idéologie ultralibérale de se mettre au service de l'avidité du siècle. Il a été liquidé, comme on veut liquider la pensée de 68...
Il lui fallut affronter les attaques déchaînées, des campagnes d'insultes, de calomnies d'une violence extrême car il touchait à des puissants pouvoirs. Rien ne lui fut épargné jusqu'aux moqueries de la façon dont il s'habillait.

Symptômes
la presse de gauche fut loin d'être la moins acharnée témoignant des ravages provoqués par la révolution conservatrice sur le monde culturel français témoignant également de la folie démiurgique qui s'emparait des journalistes persuadés qu'ils allaient par leurs discours « faire et défaire le monde au service des puissants ».
Nous ne sommes pas loin du « matin brun »de Franck Pavloff. il fallait tuer le soldat Bourdieu. Cette presse n’eut même pas la décence de se taire le jour de sa mort redoublant d'ignominie. C'est ce qui amena Michel Onfray à réagir dans sa « célébration du génie colérique. Tombeau de Pierre Bourdieu . ».
Bourdieu à dit ses raisons en évoquant ce qu'il appelait « sa fureur légitime » cette colère née de l'assurance tranquille avec laquelle le discours néoconservateur s'exprimait dans toutes les universités s'affichait dans tous les journaux, à la télévision pour justifier les gouvernants contre l'aveuglement des masses pour justifier, au nom de la raison, des lumières, les politiques néo-XIXe siècle (l'histoire est courbe) . Il voulut montrer comment les idéologies animaient ces bons Pasteur, comment elle se construisait et produisait de la violence symbolique imposée dans tout l'espace public, incorporée dans la tête de tous au point qu'on ne la remarquait plus derrière la propagande . Il était persuadé que le concept était une arme, que de révéler les modes d'action de cette violence symbolique, de ses effets de domination qu’il ne faut pas confondre avec ceux du pouvoir, permettrait de s'en libérer. Il savait aussi que la réalité sociale est produite par les discours qui prétendent la décrire. Dire c'est aussi faire. Seul il a mené une bataille dans l'ordre des discours, dans l'espace des représentations contre un adversaire organisé financé par la quasi-totalité des réseaux politiques et médiatiques.
Il pensait également que les mots de la résistance deviennent fort quand il rencontre les désirs de la révolte qu'il contribue à cristalliser par leurs révélations. Qu'on se souvienne de « la misère du monde » il voulait rendre la parole que tous les appareils idéologiques d'État nous ont confisquée à tous. Tous ne pouvaient que le faire mourir. Nous y participons tous agit à notre insu par le sens commun, incorporé jusque dans nos corps et nos structures mentales...processus qu’il avait lui même inlassablement mis en lumière.
Je finirai par une allusion au « matin brun » petit opuscule de salubrité publique :
« Dans la vie, ils vont d'une façon bien ordinaire : entre bière et belote. Ni des héros, ni des purs salauds. Simplement, ils détournent les yeux.
Sait-t-on assez où risque de nous mener collectivement les petites lâchetés de chacun d'entre nous ? »

jeudi 18 mars 2010

Extrême droite et classes populaires



Le retour du Front National est à n'en pas douter le fait marquant de ces dernières régionales. Qu'on se rassure : Marine Le Pen, et son père n’ y sont pour rien. On le doit essentiellement au fin stratège que se vante d'être notre monarque et à quelques autres…
Que s'est-il donc passé pour que tant de gens populaires, ouvriers, employés, dont les réactions immédiates exprimaient un dégoût viscéral à l'encontre de ceux perçus comme des ennemis de classe, se mettent à voter Front National et que, pour un nombre non négligeable d'entre eux, ils en viennent à voter pour un représentant caricatural de la bourgeoisie d'affaires, élu grâce à eux, dès le premier tour à la présidence de la république ?

La responsabilité que porte la gauche officielle est écrasante. Mais elle n'est pas la seule. Il faut également s'interroger sur ceux qui ont relégué leurs engagements des années 70 dans le passé des frasques de jeunesse et qui sont devenus aujourd'hui des gens de pouvoir, des notables modernes . Ils s'évertuèrent à imposer des idées de droite et de renvoyer aux oubliettes tout ce qui constituait leur dandysme utopique de jeunesse. De leurs nouveaux discours, ce n'est pas seulement le mouvement ouvrier qui disparut, ses traditions, ses luttes, mais bien la classe elle-même, sa culture, ses conditions de vie, ses aspirations au progrès. Quand on manifestait en 68, en tentant naïvement de lier le mouvement étudiant à celui des ouvriers, on s'entendait répondre : « Vous serez nos patrons dans 10 ans ! » On ne peut que leur donner raison quand on voit ce que sont devenus aujourd'hui ceux qui prônaient la guerre civile, se grisaient de la mythologie de l'insurrection prolétarienne ! Toujours aussi sûrs d'eux, aussi véhéments, mais pour dénoncer la moindre velléité de contestation populaire. Et pour cause ! Ils sont devenus ce qu'ils étaient promis à être par leur destin social : des notables installés politiquement, intellectuellement, dans le confort de l'ordre social et la promotion d'un monde qui convient parfaitement à ce qu'ils aspiraient à devenir. Ils cautionnaient une gauche sans prolétariat.

En 1980 la victoire de la gauche allait bien vite déboucher sur une profonde désillusion des classes populaires et surtout sur une désaffection méfiante et durable à l'égard de toute la classe politique : la gauche, la droite tous pareils et c'est toujours les petits qui payent… » La gauche allait entrer peu à peu dans une dérive profonde sous l'emprise d'intellectuels néoconservateurs, qui, sous couvert de renouveler la pensée de gauche travaillaient à en effacer tout ce qui en faisait l’essence populaire. On ne parle plus d'exploitation, de rapports de classes, mais de « Refondation sociale », de « modernisation nécessaire »… Le déterminisme social lui-même disparut dans la nouvelle morale néolibérale de « responsabilité individuelle ». Les classes furent effacées , diluées, dans le trop fameux « vivre ensemble ». Les affrontements de classes se muèrent en « pacte social », en « contrat social » ou les individus, isolés de leurs anciennes solidarités, définis comme tous « égaux en droits » étaient appelés à oublier leurs « intérêts particuliers » c'est-à-dire invités à se taire.

L'enjeu était à peine maquillé : Exaltation du sujet autonome pour en finir avec toutes les pensées héritées des déterminismes historiques. Démantèlement de tous les acquis sociaux au nom du nécessaire individualisme contemporain. On a là une Forme à peine déguisée de lutte de l’idéologie dominante contre l'hydre du collectif, du communisme sous quelque forme que ce soit. Tout au plus daigna-t-on donner un peu le change dans des versions néo morales de la philanthropie en remplaçant les opprimés, les exploités d'hier par « les exclus », « les victimes de la précarisation » , attitude hypocrite, perverse pour désespérer toute approche en termes d’oppression, de lutte de classes..

Le vote communiste était un vote revendiqué, proclamé, dans lequel la classe montre sa force et sa fierté d'être. Le vote d'extrême droite aura été une démarche, hésitante dans lequel on défend en silence ce qu'il reste de cette identité désormais ignorée, effacée de l’histoire quand elle n'est pas méprisée par une gauche de hiérarques tous issus de l'ENA c'est-à-dire du lieu où s'enseigne une idéologie dominante, largement transpolitique.

On ne peut être que persuadé que le vote pour le Front National doit s'interpréter comme le dernier recours des classes populaires pour défendre leur identité collective perdue, une dignité qu'ils sentent toujours menacée, piétinée par ceux qui les avaient autrefois défendus. La dignité est un fragile absolu, il lui faut des signes, des assurances, qu'on ne soit pas considéré comme une quantité négligeable, comme de simples coûts économiques, comme des objets muets de la décision politique. Dès lors si ceux à qui l'on accordait une certaine confiance ne la mérite plus, on la reporte sur d'autres pour peu qu'ils vous accordent s quelques mots qui réchauffent la fierté d’être…

A qui la faute , si la signification d'un « nous » se transforma en « les Français opposés aux étrangers » plutôt que « les ouvriers opposés aux bourgeois » ? Dans leur obstination à oublier la classe ouvrière, les gens d’en haut ont voulu tordre l’histoire et imposèrent une dimension nationale et raciale des conflits sociaux . Ce faisant, ils apparaissent comme favorisant l’immigration, et s’étonnent qu’ils désignent de fait ceux d’en bas comme souffrant de celle-ci, accusée d’être la cause de tous leurs maux…
Il faut que la classe ouvrière retrouve son histoire et qu’elle ne se trompe pas d’ennemi.

lundi 15 mars 2010

Quel beau dimanche ça aura été...

Tout a été si parfait. Le peuple tout d'abord par son abstention comme un dégoût venu du froid des masses silencieuses. Une véritable insurrection muette et citoyenne pour une nouvelle république. Un grand merci à M. Besson, Hortefeux et les autres pour le retour du Front National, piège mortel pour le monarque. À trop souffler sur de vieilles braises pour les éteindre, on finit par rallumer la flamme. Bonne nouvelle encore, que les écologistes soient remis à une place que la raison leur assigne. Etonnement souriant pour une gauche ébahie d'elle-même qui retrouve soudain l'unité et l'espoir sans vraiment savoir pourquoi. Même le front de gauche gagne ses galons pour cette première bataille... Rien ne manque : pas même la Bérézina de la droite, ni la désintégration du modem, ni même l’infinie tristesse des plateaux de télévision en grève.
Allons, mon chien, allons nous promener après un si long hiver, le printemps s'annonce radieux.

mardi 2 mars 2010

Xynthia:La mémoire du risque.




http://www.dailymotion.com/video/xcgh8g_tempête-xinthia-sur-le-port-de-noir_news

Il ne s'agit pas ici du pathétique « devoir de mémoire »,de ces coups de mentonnière opportunistes, mais de la mémoire vraie. Celle des hommes et de leurs paysages, celle des anciens, des sages : bref celle de la mémoire collective... Il s'agit surtout d'échapper à cette tyrannie de l'instant qui nous pousse dans une fuite permanente vers des avenirs, improbables, amnésiques.
La tragique tempête de ces derniers jours rappelle l'impératif de raviver la mémoire du risque dans la mémoire collective. « L'exceptionnel », mantra des médias, semble évoquer une absence de précédent ainsi que son impossible répétition, or il n'en est rien.
Faisons œuvre de mémoire. Le long des 276 km de côtes du département de la Vendée, de vastes espaces regagnés sur la mer sont protégés par 103 km de digues à la mer. Plusieurs inondations sont intervenues dans tous les secteurs du littoral. Les plus récentes et tristement célèbres restent la rupture du polder Sébastopol sur l'île de Noirmoutier avec plus de 3000 ha submergés et l'ouragan de 1940 avec la destruction des digues de Bouin. On évoquait déjà « l'exception ». Pourtant, là aussi, combinaisons d'un coefficient moyen, d'un vent violent et d'une forte dépression engendrant une sur cote importante. Depuis l’an mil l'île de Noirmoutier a été périodiquement assaillie par des tempêtes ou des ouragans dont la mémoire a été entretenue par les populations locales et notamment par l'association « 12/12 ».
Quelques évènements extraits du "répertoire des catastrophes" survenues dans l'île de Noimoutier:

1075 Un fort « vimer » envahit les champs au Both et au Fier.
1351 Reprise par la mer de très grands territoires dans toute la plaine de Barbâtre.
1509 Ouragan : la mer rompt la digue de Pulant et envahit la plaine de la Guérinière.
1638 Raz-de-marée : une partie de l’île est inondée.
1762 Nouveau désastre : l’île est menacée d’une inondation générale.
1763 Le 3 février, brèche aux dunes du Devin. Les digues de la Frandière sont rompues en trois endroits ; la mer noie toutes les terres de la Fosse, de la Frandière et des Onchères ; le moulin des Onchères et un certain nombre de maisons, dont une dizaine du bourg, sont engloutis et dévastés. (Pagesd’Histoire noirmoutrine – Fernand Guillet, 1948).
1838 Destruction des digues privées sur la côte de Pulant, inondations catastrophiques à la Guérinière. Il faut des barques pour passer d’une maison à l’autre.
1882 Les travaux d’endiguement au niveau du village de la Guérinière sont insuffisants contre les tempêtes du Sud-Ouest. Déjà la mer y est arrivée avec un courant de foudre et presque toujours en pleine nuit, envahissant l'église, la cure et les maisons voisines.

1926 Le 20 novembre, « lors d’une effroyable tempête, la mer
coupe les dunes de Bressuire (l'Epine) et rentre à flots jusqu’aux abords du
village ».
1937 Rupture de la digue à la Tresson : la mer atteint la
route (N 148), 130 ha inondés. Dans la nuit du 13 au 14 mars, les habitants de
l’île de Noirmoutier et des communes du marais de Monts et de Bouin furent
alertés par le tocsin.
1996 Vents violents et mer très forte. Durant les mois
de janvier et de février, (en particulier le 7 février), toutes les côtes de
l’île subissent des dégâts
1999 Le 24 octobre, la conjonction d’une forte
dépression, d’un coefficient de marée élevé (coefficient de 102, hauteur d’eau
de 6,15 m à Saint-Nazaire soit environ 5,75 dans le port de Noirmoutier) et de
vents violents de secteur Ouest-Sud-Ouest provoque une surcote exceptionnelle
d’environ 0,9 m. Les digues sont touchées et des débordements ont lieu au niveau
des berges d’étiers et sur les quais du port de Noirmoutier.
1999 Les 26 et
27 décembre, même scénario : le coefficient supérieur à 100 qui accompagne la
tempête amplifie l’action érosive de la mer.

On le voit : l'histoire fait de l'exceptionnel la règle. Depuis, on a oublié, on a renforcé les ouvrages et on a construit plus d'un millier de maisons dans les prés salés inondables du sud de l'île. Les anciens n'auraient jamais construit là, sous le niveau de la mer. Les plus vieux villages sont tous sur le cordon dunaire, Jamais plus bas que le niveau zéro des cartes marines.
Les communes les plus touchées par la tempête Xynthia, dans la région de l'aiguillon sur mer illustrent cet oubli de la mémoire du risque : Dès 2005, la DDE de Vendée a répertorié les digues pouvant être objet de la protection civile et établit les définitions de la dangerosité du site. La digue Est de la Faute sur mer a été la première du département à être classée comme ayant un intérêt de sécurité publique et faisant l'objet de prescription de diagnostic, de surveillance et d'entretien par arrêté préfectoral du 7 juillet 2005.( http://www.paralia.fr/jngcgc/10_27_raison.pdf).

À Noirmoutier, les anciens n'ont pas oublié et pensent déjà à la future « marée du siècle » de 2013 : « pourvu que cela marche et qu'il n'y ait pas conjugaison de marée d'équinoxe et de tempête… ». « J'y pense et puis j'oublie... » Chantait Jacques Dutronc.



mardi 23 février 2010

Violence scolaire: violence mimétique.


La proximité des élections agite la cour. La ruche bourdonne, vrombit. Tous sont sommés à nouveau de butiner le miel du pouvoir : la peur et son florilège anxiogène de discours sécuritaires. On doit toucher au cœur. On choisira donc les plus fragiles, les vieux, les jeunes, en fonction de quelques faits divers propices martelés en boucle sur les médias. la violence scolaire fera l'affaire. Dans l'urgence on proclamera un « Grenelle » comme il y en eut tant d'autres…

La violence scolaire frappe fort. Elle hurle les défaillances d'une société en crise dont elle est le miroir. Porteuse de barbaries annoncées, elle est d'autant plus spectaculaire qu'elle se déroule dans le sanctuaire même de la culture, de la connaissance, qui ont justement pour vocation dans tout groupe humain à la réduire, la réguler, pour permettre la vie commune. L'école est d'abord ce lieu de parcours initiatique, de rites de passage par lequel l'adolescent va apprendre « les contraintes de civilisation » que cela nécessite. Si ce processus, qui s'apparente au « refoulement » ne fonctionne pas, on obtient, comme l'écrivait Freud, des canailles et non des névrosés... C'est cela qui rend cette violence si énigmatique.

Il y a un profond désarroi de tous devant cette énigme qu'il est lâche d'instrumentaliser, devant ce refus pour les jeunes d'aller « vers le vaste monde », le tout nimbé de déliquescence du langage et de décrépitude de l'écrit. En fait les jeunes savent que l'école de la république n'est plus là pour tenir ses promesses : diplômes bradés inutiles, précarité et chômage annoncés, galères. Ils savent que ce n'est pas la culture, la connaissance qui leur apportera les désirs de faire, de construire, d'être quelqu'un : l'exemple vient de la France d'en haut...Eux, ils sont celle d’en bas. Alors cette violence n'est que la mécanique de la logique d’un désir mimétique qui produit des conduites de recherche apparemment volontaires de l'échec : détruire ce qui vous fait mal... Tout ce qu'ils perçoivent du monde le leur répète jusqu'à la nausée.

Jean Paul Delevoye, le médiateur de la république, évoque une société « fatiguée psychiquement », minée par « l'angoisse du déclassement ». Une société « fragmentée » ou le chacun pour soi remplace le désir de vivre ensemble. Une société en « grande tension nerveuse » formant « la France des invisibles »… Il ajoute que « la distanciation par rapport à eux [les politiques] n'a jamais été aussi forte ». « Trop d'émotions collectives, souvent médiatisées et pas de constructions collectives »….

Alors, face à cette déréliction de la vertu républicaine, face à un monde d'avidité compulsive sans précédent, comment s'étonner que des jeunes, témoins sensibles, écorchés, se jettent et s'abandonnent dans la violence scolaire comme refus d'un monde qu'ils vomissent. Comment s'étonner qu'ils ne soient pas tentés par des formes de brutalités mimétiques et substitutives d'une figure tutélaire de l'État, d'une figure d'un père le plus souvent absent en adhérant à des bandes agressives où ils trouveront ce qui leur manque : une identité, des règles, des valeurs, mêmes dévoyées. Ils s’y noient plus qu'ils ne les constituent. En cela ils sont en phase avec la société.

Les médiocres solutions électoralistes, les garrots sécuritaires opportunistes n'y changeront rien. La multiplication des caméras, des portiques, l'appel à des nervis, des milices troubles aux statuts incertains sont dérisoires. Pire ! Elles ne serviront qu'à discréditer encore plus la culture, le « penser par soi-même ». Elles saperont l'autorité des éducateurs, des professeurs héroïques qui servent encore de hautes valeurs dont on nous montre jusqu'au sommet de l'État qu'elles n'ont plus cours... Elles achèveront de fragiliser le modèle républicain déjà vacillant. Reprenons encore Delevoye : « se protéger de l'autre dans une société fragmentée, inquiète et sans espérance collective, politiquement cela peut mal tourner. L'histoire nous montre que le ressentiment et la peur nourrissent le populisme » et toutes ses dérives. Il devient urgent de resacraliser laïquement l'école républicaine constructrice d'identité, lui redonner ce rôle émancipateur de passeur d'une génération à l’ autre. Visionnaire, Anna Arendt écrivait : « l'autorité a été abolie par les adultes et cela ne peut signifier qu'une chose : que les adultes refusent d’assumer la responsabilité du monde dans lequel ils ont placé leurs enfants. ».

mardi 9 février 2010

Le "dernier carré" des juges.



L'humiliation d'un Waterloo programmé de l'autorité judiciaire vient d'être lavée. Dans une dernière charge héroïque et libératrice dont le Président Pauthe fut le Cambronne... Le fameux « mot » y fut dit en plus de 300 pages.

Pourtant tout semblait écrit, programmé, exigé même : ce ne devait pas être un jugement mais un service. Dans une république cadenassée, de plus en plus captée par une oligarchie, on espérait encore. Le peuple attendait. Une attente de quelque chose, une attente dense qui dépassait de loin le sort d'un frondeur, par ailleurs prince du sang, qui avait défié le souverain. Une attente politique donc. Les citoyens pressentaient que se jouait là un combat dont l'enjeu n'était rien moins que la sauvegarde des dernières redoutes des institutions républicaines : l'indépendance de la justice. Le principe de séparation des pouvoirs. Plus exactement « la balance des pouvoirs », ce pendule oscillant qui leur impose des limites mutuelles, fragile équilibre, seule garantie contre tout despotisme. Locke, Montesquieu, Sieyès, le Panthéon tout entier, tous attendaient... Le soulagement vint comme un coup de canon : ce fut la « relaxe ». voici la justice réhabilitée, indépendante, courageuse. Tout le monde fraternisa . Après trop d'humiliations subies, les juges, traités comme des domestiques, méprisés avec ostentation par l'exécutif, menacés dans leur indépendance se sentirent vengés et deviennent des héros républicains dignes de Valmy !. Dans le vent de liberté retrouvée, ce ne fut que revers pour le pouvoir : libération des « clandestins de Corse » au grand dam de Besson, puis la relaxe des « contis » qui au milieu des larmes de soulagement , dirent leur confiance en la justice de France, discours pour le moins étrange de la part d'ouvriers plus enclins à considérer celle-ci comme un lieu de pouvoir de classe ! Dernièrement, le syndicat de la magistrature déclarait le projet de loi « LOOPSI 2 comme liberticide(sic)…

Voici donc que revient par la fenêtre le projet de suppression du juge d’instruction, du renforcement des pouvoirs du parquet. Voici donc que se dévoilent les attaques contre le principe démocratique de la séparation des pouvoirs, contre la constitution, traces vécues comme vétustes, poussiéreuses, pourtant plus que jamais nécessaires pour se protéger contre les risques d'un despotisme de plus en plus arrogant. Refaire 1789 ? oui! Mais sans la bourgeoisie cette fois…

mardi 2 février 2010

Le pseudonyme: La burqua des blogueurs.


En voulant poster un commentaire à la suite d'un billet d'un blogueur en vue, quelle ne fut pas ma surprise de lire le message suivant : « les commentaires ANONYMES ne sont pas acceptés . Merci de prendre au moins un pseudonyme ». J'en oubliais immédiatement le sujet de mon commentaire, hypnotisé par cette formule épiphanique. C'est l'obscénité, la redondance naïve ainsi que la contradiction dans les termes qui met à nu l'évidence banale, instituée, des règles extrêmement contraignantes de l'expression de soi dans l'espace virtuel de la toile. L'obligation de prendre un pseudonyme.
Il ne faut donc pas parler en son nom mais s'en inventer un, et ce faisant l'individu échappe au destin de sa vie biologique, de sa généalogie. La narration de soi, car il s'agit bien de cela même à travers des billets d'actualité commentés jusqu'au vertige, est d'abord la volonté de se faire connaître tout en étant masqué. Il y a là curiosité surtout quand on évoque volontiers les blogs comme étant le futur de la nouvelle agora par excellence… On ne peut que s'étonner davantage lorsqu'on s'imagine des milliers d'anonymes armés de pseudos, protégés par leurs avatars s'organiser en force politique à travers le « No Sarkozy day » mais là encore il ne faut pas s’y tromper il s'agit toujours de se faire connaître et reconnaître. Au sens littéral, l'Internet est un « no mans’ land »
Il est symptomatique d'une société « flexible », « liquide » que l'interrogation philosophique classique du « qui suis-je ? » rencontre un désir social et un cyberespace socialisé à cette fin . C'est ce qui se produit avec l'exigence de se raconter. L'adoption d'un pseudonyme, cette métaphore narcissique, le permet en opérant une réduction de soi à une formule à travers laquelle l'internaute est censé se saisir lui-même en informant les autres de ce qu’il est et de se redéfinir en permanence sous la tyrannie de l'instant. Au fond il s'agit de se rendre intelligible à travers un système de positions constamment instables. Se raconter pour se trouver ,tenter de répondre à la question : comment faire d'une vie biologique, enserrée dans destin généalogique, social, une vie humaine ? à cette question, on répond depuis Socrate qu'une vie ne s'humanise que d'être « examinée » par celui qui la vit. Une vie examinée est une vie racontée qui instaure son narrateur en sujet d'une histoire. Le récit fait de la vie « une vie » singulière en lui donnant ce qu'elle possède pas d'emblée, à savoir la parole. À travers cette parole anonyme on expose d'abord sa propre identité. Anna Arendt a tiré toutes les leçons de cette identité narrative : « ce que » je suis d'autres peuvent en décider, et en décident d'ailleurs quotidiennement. Mais savoir « qui » je suis est une tentative d'auto définition qui me revient en propre : elle se rejoue dans chacun des récits que j'entreprends de moi-même. C'est là sans doute la raison du succès des blogs, mais aussi leur faiblesse qui les condamne politiquement dans la mesure où ils ne seront jamais, par nature, l’expression collective d'une volonté, d'une force organisée. Ce sont des médias individuels de masse. Comme le voile, le pseudonyme, l‘anonymat permet de se dire en jouissant de ce que je dévoile en le cachant.



Je ne cherche désormais ni ne trouve.
Je ne suis ni ici ni ailleurs.
Je me refais au-delà du souci.
Je me consacre aux marges de l’homme et
cultive en un fond qui n’existe pas l’infime
tendresse de ne pas être. »
Roberto Juarroz. Poésies verticales.
 
> rédacteur Agoravox