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mardi 2 février 2010

Le pseudonyme: La burqua des blogueurs.


En voulant poster un commentaire à la suite d'un billet d'un blogueur en vue, quelle ne fut pas ma surprise de lire le message suivant : « les commentaires ANONYMES ne sont pas acceptés . Merci de prendre au moins un pseudonyme ». J'en oubliais immédiatement le sujet de mon commentaire, hypnotisé par cette formule épiphanique. C'est l'obscénité, la redondance naïve ainsi que la contradiction dans les termes qui met à nu l'évidence banale, instituée, des règles extrêmement contraignantes de l'expression de soi dans l'espace virtuel de la toile. L'obligation de prendre un pseudonyme.
Il ne faut donc pas parler en son nom mais s'en inventer un, et ce faisant l'individu échappe au destin de sa vie biologique, de sa généalogie. La narration de soi, car il s'agit bien de cela même à travers des billets d'actualité commentés jusqu'au vertige, est d'abord la volonté de se faire connaître tout en étant masqué. Il y a là curiosité surtout quand on évoque volontiers les blogs comme étant le futur de la nouvelle agora par excellence… On ne peut que s'étonner davantage lorsqu'on s'imagine des milliers d'anonymes armés de pseudos, protégés par leurs avatars s'organiser en force politique à travers le « No Sarkozy day » mais là encore il ne faut pas s’y tromper il s'agit toujours de se faire connaître et reconnaître. Au sens littéral, l'Internet est un « no mans’ land »
Il est symptomatique d'une société « flexible », « liquide » que l'interrogation philosophique classique du « qui suis-je ? » rencontre un désir social et un cyberespace socialisé à cette fin . C'est ce qui se produit avec l'exigence de se raconter. L'adoption d'un pseudonyme, cette métaphore narcissique, le permet en opérant une réduction de soi à une formule à travers laquelle l'internaute est censé se saisir lui-même en informant les autres de ce qu’il est et de se redéfinir en permanence sous la tyrannie de l'instant. Au fond il s'agit de se rendre intelligible à travers un système de positions constamment instables. Se raconter pour se trouver ,tenter de répondre à la question : comment faire d'une vie biologique, enserrée dans destin généalogique, social, une vie humaine ? à cette question, on répond depuis Socrate qu'une vie ne s'humanise que d'être « examinée » par celui qui la vit. Une vie examinée est une vie racontée qui instaure son narrateur en sujet d'une histoire. Le récit fait de la vie « une vie » singulière en lui donnant ce qu'elle possède pas d'emblée, à savoir la parole. À travers cette parole anonyme on expose d'abord sa propre identité. Anna Arendt a tiré toutes les leçons de cette identité narrative : « ce que » je suis d'autres peuvent en décider, et en décident d'ailleurs quotidiennement. Mais savoir « qui » je suis est une tentative d'auto définition qui me revient en propre : elle se rejoue dans chacun des récits que j'entreprends de moi-même. C'est là sans doute la raison du succès des blogs, mais aussi leur faiblesse qui les condamne politiquement dans la mesure où ils ne seront jamais, par nature, l’expression collective d'une volonté, d'une force organisée. Ce sont des médias individuels de masse. Comme le voile, le pseudonyme, l‘anonymat permet de se dire en jouissant de ce que je dévoile en le cachant.



Je ne cherche désormais ni ne trouve.
Je ne suis ni ici ni ailleurs.
Je me refais au-delà du souci.
Je me consacre aux marges de l’homme et
cultive en un fond qui n’existe pas l’infime
tendresse de ne pas être. »
Roberto Juarroz. Poésies verticales.

1 commentaire:

  1. Laissez rêver BiBi sur votre pseudonyme. Il vous rappelle l'effet-Cromwell que vous n'êtes pas sans ignorer : Freud avait prénommé son deuxième garçon Oliver, comme Oliver Cromwell, l'homme politique tant admiré dans son enfance. Débrouillez-vous avec ça ! :-)
    Et s'il faut rester sur Freud, ce Monsieur s'est aussi penché - indirectement - sur le pseudonyme qui est une survivance et un jeu dont s'est doté l'Enfant à un certain moment de sa courte existence justement pour exister.
    Freud a longuement décrit ce qu'il a appelé le Roman Familial des Névrosés où l'enfant se pare d'un nom, d'une généalogie imaginaire pour avoir à affronter le Réel.
    C'est cette survivance qui est là pour les adultes bloggeurs d'aujourd'hui. Quel mal à cela ?
    Cocteau disait avec raison : "Le Masque démasque".
    BiBi a pris le pseudo Pensez BiBi. Il a voulu par là se poster sur l'arête paradoxale de 1. se faire reconnaitre ( se faire aimer) et 2. prendre un pseudo, pousser même plus avant avec un Parler à la Troisième personne ( vous ne pouvez imaginer le nombre d'intolérants qui ne supportent pas !) pour avoir à éviter ce Piège du Narcissisme exacerbé...(piège qu'il n'évite hélas pas tjrs)
    Voilà en vrac les effets de votre article. Ces effets-là ne s'achèvent pas, ils perdurent. Peut-etre dans un prochain article-BiBi ?
    Bibien à vous.

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> rédacteur Agoravox